Mardi 15 novembre, Bassel TAWIL, photographe syrien originaire d’Homs, est intervenu auprès des étudiants de l’Université de New York à Paris pour témoigner de son vécu et de la situation des droits de l’Homme en Syrie.
Ci-dessous l’article rédigé par deux étudiantes qui ont assisté à cet évènement, Emily Albert, Gloria Yanez, et leur professeur Anna Lesne (décembre 2016).
« Une rencontre marquante entre Bassel Tawil et des étudiants de l’Université de New York à Paris »
Le 15 novembre, un groupe d’étudiants de New York University à Paris, dont nous faisons partie, s’est réuni pour entendre l’histoire personnelle de Bassel Tawil, un photoreporter syrien de vingt-huit ans réfugié en France depuis quinze mois et soutenu par la Maison des Journalistes. « Passionnant », « éclairant », « fascinant » : ainsi était décrit ce moment dans les commentaires rédigés par les étudiants. C’était la première fois que nous entendions parler de la guerre en Syrie par quelqu’un qui l’avait vécue. Bassel Tawil est parvenu en une heure non seulement à nous bouleverser, mais à renverser notre représentation de la situation de ce pays dont nous avons tant entendu parler dans les médias.
Choqué par la violence de la répression des manifestations contre le régime syrien dans sa ville de Homs au printemps 2011, Bassel Tawil, étudiant en informatique tout juste revenu de son service militaire, a commencé à photographier et filmer ce qui se passait autour de lui. Il est ainsi devenu l’un de ces « journalistes civils » qui ont publié leurs images sur des pages personnelles et les ont fait parvenir aux agences de presse occidentales, notamment l’AFP. Il a été poursuivi par les autorités syriennes, menacé, arrêté et enfermé, avant de fuir le pays vers le Liban avec un passeur du Hezbollah ; privé de son passeport, il a été soutenu par Reporters Sans Frontières et le Committee to Protect Journalists, puis accueilli en France où il a obtenu un statut de réfugié.
En France, Bassel Tawil parle ouvertement de ce qu’il a vécu : la faim dans le quartier assiégé, les habitants qui se nourrissent de plantes et boivent de l’eau souillée, l’absence d’électricité. Il mentionne, sans insister, la mort de trois de ses amis et de son jeune frère, la torture. Ses photos montrent des scènes de Homs au fil des mois, des gens abasourdis dans des rues où plus un immeuble n’est habitable, des gens qui courent, d’autres qui s’étreignent, des parties de foot dans les gravats, des enfants qui jouent et qui sourient au photographe. Défilent aussi sur l’écran des images de familles qui ont ramassé ce qu’elles ont pu sauver dans quelques sacs, des voitures de l’ONU, des groupes qui se préparent au départ. Ces images et ces films permettent de saisir l’atmosphère des manifestations contre le régime syrien. Une vidéo poignante montre une fillette qui chante pour la paix, avec tout l’esprit de l’enfance. Tout à coup, le son d’une bombe qui explose juste là et d’une voix qui répète un prénom féminin tétanise la salle. Muets, nous clignons des yeux tandis que Bassel Tawil détourne les siens vers la fenêtre. “Sur place, le bureau du tourisme continue à promouvoir le pays comme si rien ne se passait” ajoute Tawil un peu plus tard.
Après son récit, Bassel Tawil a pris le temps de répondre aux questions des étudiants, dont certaines ont révélé la complexité de la situation en Syrie. Selon lui, notre interprétation est inadéquate quand elle présente ISIS comme le principal ennemi et le grand danger auquel fait face le pays, et non Bachar el-Assad. Bassel Tawil se rappelle la réaction de son père quand à 7 ans il l’a vu dessiner sur le visage du président dans un livre d’école : il l’a frappé, pour la seule fois de sa vie. Aujourd’hui, dit-il, le chef d’Etat est un meurtrier qui a décimé son peuple. Les étudiants de NYU écoutent dans un silence total.
Bassel Tawil dénonce les profiteurs de guerre, ceux qui viennent des pays voisins et exploitent le chaos pour s’enrichir ou prendre position dans le pays. Il illustre les rapports complexes du régime syrien avec ISIS en évoquant la libération en 2011 de prisonniers extrémistes qui ont rejoint Daech, la vente d’essence par l’organisation dans la monnaie syrienne, qui a enrichi l’Etat. Il évoque ce qu’il perçoit comme la faiblesse d’ISIS en Syrie par rapport à l’image qui nous en est donnée. Pour lui, c’est le régime qui doit tomber. Les médias, en concentrant notre attention sur l’Etat Islamique, nous empêchent de comprendre la tragédie syrienne.
De la même façon, dit-il en réponse à des questions sur le sujet, la couverture médiatique de la situation des réfugiés en France, de leurs conflits avec la population et la police, offre au public une image partielle, parfois distordue, de la réalité. Les médias et l’opinion publique se reflètent, se répondent. La vision française peut changer, et la Syrie ne plus être associée au radicalisme religieux et à ISIS.
Comment alors être bien informé ? Pour Bassel Tawil, suivre les médias français et américains est important, mais insuffisant : des pages Facebook continuent à relater la situation locale depuis les zones occupées. Des journalistes réfugiés comme lui partagent leur connaissance du terrain. Si Bassel Tawil a dû quitter les lieux, d’autres continuent. Quand on lui demande s’il a l’intention de retourner en Syrie après la guerre, la réponse est attendue : oui, bien sûr. “Je vois ma vie ici comme temporaire. Je n’attends pas. Je continue ma vie : j’apprends le français, je prends des cours, je cherche à travailler. Mais comme la plupart des Syriens, j’ai l’intention et l’espoir de pouvoir retourner dans mon pays.”