Renvoyé Spécial SPIP : Journaliste exilé et détenu en réinsertion, des regards croisés sur la société

Par Alexandre Garnier

Ce soir, ils sont quatre personnes placées sous main de justice venues pour écouter Mamoudou Gaye. Cet ancien de la MDJ a été forcé de quitter la Mauritanie au printemps 2018 et raconte aujourd’hui son histoire et son combat pour la liberté d’informer. Ce 15 octobre, c’est la seconde intervention de Mamoudou dans le cadre du programme Renvoyé Spécial SPIP.

« J’ai été, en Mauritanie, journaliste presse écrite, web, radio, TV. J’ai collaboré avec OXFAM, J’étais directeur d’une entreprise et consultant pour une agence de développement allemande (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit). J’avais des responsabilités, raconte Mamoudou, en France j’ai perdu tout ça. »

En février 2018, il est invité à une conférence de la Banque Africaine de Développement de Côte d’Ivoire. À cette occasion, il prend la parole pour dénoncer les pratiques de certains dirigeants mauritaniens, le manque de solidarité envers la Mauritanie, affectée par les problèmes de l’esclavage et du racisme. Victime de menaces répétées, il est obligé de fuir son propre pays.

« L’année passée, j’ai fait une présentation ici même, je préparais ma demande d’asile politique. Elle a été acceptée, j’ai reçu mon passeport et désormais je peux voyager partout, mais je ne pourrais jamais retourner en Mauritanie tant qu’il y aura le régime militaire. »

« On parle de réinsertion à des gens qui n’ont jamais été inséré dans la société. »

Après quelques minutes de présentation et d’introduction sur la situation en Mauritanie, la rencontre se transforme rapidement en échange. « Moi, j’ai cinq enfants, lance Malik*, je suis en semi-liberté, j’attends toujours mon titre de séjour. Pourtant mon-grand père a fait la Seconde Guerre mondiale pour la France. Avant 1960, nous étions français !  »Réinsertion » on me dit maintenant. Il faut que me réinsère dans la société, mais comment je suis censé le faire sans ce petit bout de papier ? »

Un autre participant, Arnaud*, intervient : « On part sur un débat infini avec ça. On parle de réinsertion à des gens qui n’ont jamais été inséré dans la société. J’ai 30 ans, 8 ans et demi de prison. Les personnes qui sont en détention, c’est seulement le reflet de la société dans laquelle nous vivons. »

« Ça ne sert à rien de discuter, de débattre tant que l’on n’offre pas de seconde chance, répond Mamoudou. Parce que, toi-même qui juge les gens, quand on te regarde dans ton fort intérieur, tu as eu à faire des choses sournoises que les gens ne verront jamais. Chacun a le droit de tomber.

Vous savez en Mauritanie, il y a des jeunes, les « microbes », qu’on condamne à la prison à 12 ans, 13 ans. Ils n’ont pas d’acte de naissance, ils n’ont pas d’identité, personne ne vient pour eux. J’ai parlé avec l’un d’eux, il me dit :  »Tu sais quand on fait des agressions, on n’attaque pas dans les rues sans lumière. On s’organise, on attend une dame avec son téléphone, l’un la gifle, et au moment où elle crie les autres lui piquent ses affaires. » Il n’y a pas de sécurité là-bas, et tous les gens liés à ces questions sont corrompus. »

Les parcours sont différents, mais les expériences se croisent. La Françafrique et le racisme, le confort, l’absurdité de la consommation et du gaspillage, le monde du travail en France : ces sujets, tous les ont découverts et expérimentés de leur côté, avec leur regard propre.

« T’as eu ton chemin, on a tous eu un chemin ici »

« En Mauritanie j’avais des responsabilités, raconte Mamoudou, en France j’ai perdu tout ça. Dans le métro, je saluais les gens, je disais bonjour. Mais personne ne répondait et le regard qu’on me portait m’a beaucoup marqué. Avec le temps, j’ai compris, quand tu dis  »bonjour » à haute voix les gens croient que tu demandes. »

« T’as eu ton chemin, on a tous eu un chemin ici. Et aujourd’hui, comme tu le dis, on vit dans une société où on a peur de l’autre, explique Arnaud. Moi, je viens du grand banditisme parisien. J’ai un avantage, je suis le stéréotype du blanc, en générale, on me prend pour un policier dans les transports. Mais j’ai des frérots qui sont jugés au faciès. Avec le même CV que moi, un Bambara, un Mamadou, un Mohamed, un Sissoko, c’est pas la même chose !

En ce moment, je suis en formation. J’ai un employeur qui appelle, il cherche des personnes mais par contre, il a le culot et le toupet de nous dire qu’il ne souhaite ni d’Arabes ni de Noirs. Tu entends ça en sortant de prison, ça fait un froid. Le mec, tu as envie de lui éclater la tête. Pour qui tu te prends pour juger un être humain à sa couleur, à la consonance de son nom ! »

« Ce que tu as dit c’est important, réagit Mamoudou. Il faut être dans l’empathie, c’est le témoignage qui permet de comprendre l’autre. »

L’heure de fermeture du SPIP arrive, la rencontre se conclut. « Et nous, on doit encore rentrer en prison. » « Moi ça faisait un an que j’étais pas sorti jusqu’à 21h  » répond Malik.

*Les prénoms ont été modifiés

Lien vers le portrait de Mamoudou Gaye :
https://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/2018/08/23/journaliste-mauritanien/