TABLE RONDE. « ON N’A PAS L’IMPRESSION QUE L’EXIL NOUS ARRIVE LORSQU’ON LE VIT »

Ce 14 décembre, une table ronde était organisée au cinéma « Les 7 parnassiens » à propos du film « Fremont », de Babak Jalali. Partenaire du film, la Maison des journalistes a pu assister à la projection du long métrage qui retrace avec émotion le parcours d’une immigrée afghane et aux échanges de la table ronde.

Des échanges riches en enseignements. Ce jeudi 14 décembre au cinéma « Les 7 Parnassiens » avait lieu une diffusion du film Fremont », réalisé par Babak Jalali, suivie d’une table ronde entre Jacky Roptin, psychologue clinicien au centre Primo LEVI, Nabilla Ashrafi, journaliste afghane et actuelle résidente de la MDJ Chistophe Joly, rédacteur en chef à la Maison des journalistes et Sandrine Floc’h, chargée du relais association / rencontre pour le distributeur JHR.

Un film bourré d’émotions

Porté par le choix du noir et blanc, « Fremont » retrace avec beaucoup d’émotions le parcours de Donya, 20 ans, réfugiée afghane qui travaille dans une usine de cookies porte-bonheur à San Francisco. La jeune femme était traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, avant d’être contrainte de quitter Kaboul suite à la prise du pouvoir par les Talibans à l’été 2021. Donya tente de lutter contre son insomnie et sa solitude dans sa nouvelle vie, avant de faire la rencontre d’un psychiatre  qui, tout au long du film, va l’accompagner pour l’aider à s’ouvrir sur son passé. La vie de Donya va alors changer lorsqu’elle se voit confier la rédaction des messages de prédictions, teintés de philosophie, qui sont glissés dans les sachets de cookies. Tout au long de cette heure et demie, Babak Jalali invite le spectateur à suivre le voyage introspectif de Donya, en délivrant une réflexion attachante sur les relations humaines.

Récompensé par le Prix du jury au festival du film américain de Deauville, le réalisateur iranien réussit à raconter avec légèreté et poésie l’exil de cette jeune Afghane.

« Une dimension poétique à l’écran » 

À la fin de la séance, les journalistes invités, anciens et actuels résidents de la Maison des journalistes, émus, se sont regardés en silence avant de commencer à débriefer le film, eux qui se sont identifiés à ce personnage de Donya dont ils partagent l’exil. Sandrine Floc’h, chargée du relais associations – rencontres pour le distributeur parisien JHR Films a pris la parole pour apporter des éléments de contextualisation de Fremont en particulier sur l’actrice principale, Anaita Wali Zada, et le réalisateur Babak Jalali. « Il faut savoir qu’Anaita est une vraie réfugiée afghane qui a quitté son pays une semaine après l’arrivée des Talibans. Babak Jalali cherchait une actrice qui pouvait avoir ce rôle dans la peau. Elle a rapidement proposé sa candidature et dans les quelques jours qui ont suivi, elle a eu le rôle », détaille-t-elle. Anaita Wali Zada était journaliste en Afghanistan avant le retour des Talibans, qui ont décidé de la prendre pour cible. Elle décide de quitter le pays en 2021.  Pourquoi avoir décidé d’opter pour le noir et blanc ? « Babak Jalali avait dans un premier temps envisagé de tourner ce film en couleurs. Mais il tenait vraiment à apporter une dimension poétique et il a trouvé que le noir et blanc souligne assez bien le rêve américain. Je pense d’ailleurs qu’une fois que vous le visionnez en noir et blanc, vous n’avez pas forcément envie de le revoir en couleurs », ajoute Sandrine Floc’h, tout en précisant que le réalisateur iranien a choisi un mode de filmage en 4/3 afin de mieux « isoler les personnages ».

 « L’exil est un sentiment étrange »

Christophe Joly, rédacteur en chef de l’Oeil de la MDJ, le média de la Maison des journalistes, a quant à lui tenu à expliquer le soutien et le partenariat de l’association pour ce film : « Dans Fremont, le symbole de l’exil est bien incarné. C’est ce que représente la Maison des journalistes aussi, une maison avec une fenêtre ouverte sur le monde, un bâtiment qui représente l’exil. Depuis plus de 20 ans, la MDJ a accompagné quasiment 500 journalistes qui viennent des quatre coins du monde. Dans le film, on retrouve ces valeurs de persévérance incarnées par le personnage principal ».

Jacky Roptin, psychologue clinicien au Centre Primo LEVI complète ces propos en apportant son œil d’expert, lui qui a accompagné de nombreux réfugiés. « A travers ce film, on voit bien que l’exil est un miroir tendu face à la souffrance du monde. Pratiquement chaque phrase de ce film peut être longuement analysée. C’est un travail qui a été réalisé avec de nombreuses touches d’humour et qui montre que les réfugiés ont des mêmes universaux malgré le choc des cultures qui se croisent, même s’ils ne sont pas dans notre temporalité ». Nabilla Ashrafi acquiesce. Résidente à la Maison des journalistes, elle a comme la protagoniste principale du film, dû quitter à contrecœur son pays suite à l’arrivée des Talibans. Elle maîtrise donc ce sujet mieux que personne. « Je peux vous dire que l’exil est un sentiment étrange, on n’a pas vraiment l’impression que ça nous arrive réellement lorsqu’on le vit. D’autant plus que moi, j’avais de bonnes conditions de vie, je pouvais voyager n’importe quand », témoigne-telle, la voix tremblante. La journaliste afghane reconnaît qu’elle a vécu son arrivée en France il y a deux ans comme « un déclassement ». « En Afghanistan, beaucoup de personnes rêvent de visiter Paris mais pas dans ces conditions, pas lorsque l’on vient d’arriver dans un pays qui nous est totalement inconnu », ajoute-t-elle.

Nabilla Ashrafi se souvient encore des bruits des bombes et des moteurs des avions de guerre. La jeune femme raconte qu’elle a même vu de ses propres yeux des collègues journalistes mourir devant elle, tués sans pitié par les Talibans. « Ces images ne s’effacent jamais de votre mémoire, elles seront gravées dans ma tête pour toute ma vie », confie-t-elle les larmes aux yeux. Malgré la censure et le contrôle total des médias appliqués dans son pays natal, Nabilla Asharafi envisage de retourner en Afghanistan. « Tout le monde me dit que je suis complètement folle quand j’évoque cette idée, sourit-elle. Mais je suis persuadée que tout aura changé lorsque je remettrais les pieds là-bas. Je sais qu’ils (les Talibans, ndlr) peuvent me retrouver à l’aéroport ou n’importe où. Mais je tiens à retrouver le pays de mes racines et surtout revoir ma famille ».

La table ronde s’est conclue sous les applaudissements à destination de ce témoignage courageux et chargé d’histoire. En guise de  clin d’œil au long-métrage, le cinéma a joué le jeu jusqu’au bout en proposant des gâteaux à l’effigie du film, avec les messages de prédictions. Et si finalement, il fallait davantage prêter attention au poids des mots ?

Par Chad Akoum 

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©  Chad Akoum