« Je suis toujours resté fidèle à mes idéaux » – Témoignage d’un journaliste pakistanais

Au Pakistan, l’expression de ses idées est considérée comme un crime” : Rejav, journaliste pakistanais persécuté dans son pays, délivre l’histoire de son calvaire pour la Maison des journalistes.

Au Pakistan, depuis 2000, plus de cent de journalistes ont été tués en raison de l’exercice de leur profession. Rejav, journaliste à Dunya News, aurait pu être parmi eux s’il n’avait pas quitté son pays pour se réfugier d’abord en Iran puis en France en 2018.

Malgré les intimidations, Rejav reste fidèle à ses valeurs professionnelles

« Je suis journaliste de profession » commence Rejav (dont le nom a été changé pour des raisons de sécurité) interviewé pour la Maison des Journalistes. « De ma famille j’ai hérité les valeurs fondamentales : dire la vérité et résister à l’injustice. En raison de l’exercice de ma profession, j’ai été victime d’insultes, de menaces et de tortures, mais je suis toujours resté fidèle à mes idéaux ».

Né à Bhimber, dans la région pakistanaise du Cachemire, Rejav commence à écrire en 2006 pour un journal local. En 2010, il est engagé comme reporter par la chaîne de télévision Dunya News et fait des reportages sur la situation politique au Pakistan et au Cachemire.

Cette dernière est caractérisée par une forte corruption, l’influence des forces islamistes et surtout par le conflit historique avec l’Inde. En 2016, les affrontements armés entre l’Inde et le Pakistan s’intensifient et Rejav est envoyé en tant que reporter sur la Ligne de Contrôle (Line of Control), à la frontière entre les deux pays.

“Plusieurs fois par semaine, je me rendais dans le secteur de Barnala et Samahni. Et ce fut le début de mon calvaire” raconte Rejav.

“Le 29 septembre 2016, l’Inde a revendiqué avoir effectué une frappe chirurgicale ou une attaque ciblée de l’autre côté de la Ligne de Contrôle dans la région du Cachemire sous contrôle du Pakistan. L’ISPR (porte-parole) de l’armée pakistanaise a rejeté cette revendication et les journalistes représentant plusieurs groupes de presse couvrant la situation sur la Ligne de Contrôle ont été invités dans les bureaux de l’ISI (le service de renseignement pakistanais) pour un briefing”.

C’est à cette occasion que Rejav reçoit les premières menaces de la part d’un colonel de l’ISI, qui lui dit de ne pas diffuser de nouvelles sur le conflit sans d’abord avoir consulté le service de renseignement.

Mais Rejav n’est pas du genre à être intimidé par les menaces. Reporter par profession et par passion, il continue de raconter ce qui se passe sur la Ligne de Contrôle de façon indépendante.

Le tournant : un kidnapping en deux étapes organisée par l’armée

Les choses coontinuent de mal tourner lorsqu’un jour de novembre, en allant au travail, Rejav trouve une voiture qui l’attend. A l’intérieur, des agents de l’ISI qui ordonnent à Rejav de monter dans la voiture.

J’ai été emmené dans la chambre d’un hôtel. Une personne dont je ne connaissais pas l’identité est arrivée quelques minutes après. Ils ont commencé à me poser des questions sur un ton sévère. Je m’inquiétais beaucoup et je n’arrivais pas à boire le thé qu’on m’avait offert”.

A l’hôtel, Rejav reçoit des nouvelles menaces. Plus tard, l’inconnu qui était entré dans la pièce, force Rejav à monter à nouveau dans la voiture et le conduit chez lui.

Tous ses outils de travail sont saisis: son appareil photo, ses notes, son téléphone et son ordinateur portable. « Ma femme et ma fille continuaient à pleurer et les agents présents leur ont dit qu’il ne m’arriverait rien de mal s’ils n’informaient pas la police ».

Malheureusement pour Rejav, la situation ne s’arrête pas là. Au contraire, le kidnapping se poursuit et s’empire.

Après l’enlèvement et la perquisition, place à la torture

À ce stade, ses ravisseurs emmènent Rejav dans un endroit inconnu. « J’ai passé trois jours et trois nuits, les pires de ma vie” raconte-t-il.

J’ai fait l’objet d’une torture brutale durant laquelle j’ai perdu connaissance à plusieurs reprises”.

Après trois jours et trois nuits d’enfer, Rejav est finalement libéré et ramené chez sa famille. « Si vous parlez à la police, les choses vont empirer »: ce sont les mots sur lesquels les agents quittent Rejav et sa femme.  

Après quelques jours, Rejav se rend compte qu’il a involontairement mis en danger non seulement sa personne, mais aussi toute sa famille et décide ainsi de quitter discrètement sa maison, seul, très tôt le matin.

Pendant un certain temps, Rejav vit à Saraghoda chez sa belle famille et ensuite chez des amis. “Mais plusieurs fois, j’ai remarqué que j’étais suivi par quelqu’un et un jour un ami qui me donnait refuge m’a informé qu’il n’était plus en mesure de m’héberger”.

Laisser son pays pas par choix, mais par nécessité

Dès lors, Rejav est une devenu un “infréquentable”, quelqu’un dont il vaut mieux rester à l’écart pour éviter des ennuis.

“La chaîne de télévision pour laquelle je travaillais n’a rien fait pour m’aider” continue-t-il. C’est ainsi que Rejav se rend compte qu’au Pakistan il n’est plus en sécurité.

J’ai contacté ma famille et ils m’ont dit la même chose. Je ne pouvais pas vivre éternellement comme un clandestin. J’ai alors décidé de quitter le pays. J’ai contacté un passeur d’Hari Pur (ville du Pakistan). Il m’a demandé 900.000 roupies pour me faire quitter le pays. C’est ainsi que le 28 octobre 2017 je suis arrivé en Iran.

Par la suite, après avoir traversé plusieurs pays, j’ai réussi à gagner la France le 8 février 2018”.

Rejav témoigne que ce n’était pas son intention de quitter le Pakistan, il l’a fait contre sa propre volonté pour protéger sa personne et ses proches. Il vient d’entamer une démarche administrative pour faire venir sa famille en France.


Souvenir du Pakistan

« L’un des plus beaux souvenirs de ma vie au Pakistan est celui de mon mariage.

Dans mon pays, les mariages sont presque toujours combinés par les familles, donc je n’avais jamais vu ma femme avant de l’épouser. De plus, à l’époque j’étais amoureux d’une autre femme.

Pourtant, dès que je l’ai vue, j’ai compris que nous serions heureux ensemble. Aujourd’hui nous avons deux enfants et j’espère que ma famille pourra me rejoindre bientôt ici en France. »

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