« J‘ai vu des familles et des enfants mourir à cause du gaz nervine » – Témoignage d’un journaliste syrien

« J’ai vu des familles et des enfants mourir à cause du gaz nervine. Pour en limiter les effets, les médecins faisaient des injections d’atropine aux victimes, mais peu d’entre ceux qui avaient inhalé le gaz arrivaient à se sauver.»

Journaliste réfugié à la Maison des journalistes

Sameer a vingt ans, il est syrien et il porte un pantalon de jogging gris et des chaussures sportives. Il semble plus vieux que son âge, peut-être à cause de la barbe qui encadre son beau visage aux traits réguliers, ou d’une expression profonde qui ne quitte jamais ses yeux noirs légèrement amendés. Sameer est originaire de Douma, en Syrie.

Qu’est ce qui s’est passé à Douma entre 2013 et 2018 ?

Douma, dernier bastion de la Résistance anti-Assad, ville rebelle assiégée pendant cinq longues années – de 2013 à 2018 ; Douma, le repaire contre lequel Assad aurait utilisé, pour la deuxième fois, les armes chimiques en avril dernier; Douma, la prison impénétrable que les journalistes ne peuvent pas atteindre et de laquelle les civils ne peuvent pas s’échapper.

Sameer, cependant, a réussi à s’échapper. En 2017, il a franchi la frontière avec la Turquie à pied et, après une année passée à étudier l’anglais à Gaziantep, il a obtenu un visa pour la France. Aujourd’hui, il fait partie de la communauté des résidents de la Maison des journalistes et espère que l’OFPRA lui accordera le droit d’asile.

2011 : les révoltes et le début de la carrière journalistique

En temps de guerre, on grandit plus vite. Sameer n’a que vingt ans, mais a déjà vécu plusieurs vies et sa mémoire est remplie d’images qu’il aimerait bien oublier, mais il ne peut pas. Sa carrière de photographe a débuté en 2011, lorsque les émeutes de la rébellion populaire contre Assad ont éclaté dans tout le pays.

A l’époque, Sameer n’est qu’un gamin, néanmoins il aide ses frères pendant les manifestations et commence à utiliser la caméra.

« Le peuple syrien croyait en cette révolte. En Syrie, les Droits de l’Homme n’ont jamais été respectés: nous avons seulement demandé plus de liberté pour notre pays« .

2013 : Le régime étouffe la révolte avec le gaz nervine

En 2013, la ville de Douma est entourée par les milices d’Assad, qui utilisent pour la première fois des armes chimiques afin de réprimer les rebelles.

« J’ai vu des familles et des enfants mourir à cause du gaz nervine. Pour en limiter les effets, les médecins administraient des injections d’atropine aux victimes, mais peu d’entre ceux qui avaient inhalé le gaz arrivaient à se sauver« .

La même année, les stock de nourriture et d’eau se terminent à Douma et les gens se retrouvent souvent obligés de manger la nourriture destinée aux animaux.

« A Douma, il y avait des tunnels souterrains qui reliaient la ville à Bosra, qui était reliée à Damas. À travers ces tunnels, nous recevions des rations alimentaires, mais en 2013, la connexion a été interrompue et la population s’est retrouvée dans des conditions désastreuses« , raconte Sameer.

Le journalisme en Syrie : une arme contre le pouvoir

En 2014, Sameer est engagé en tant que photo-reporter pour l’AFP. « J‘ai toujours cru en l’importance des médias en tant qu’instruments de dénonciation » témoigne-t-il.

« En 1980, le père d’Assad avait déjà commis des crimes humanitaires contre la population syrienne, mais à l’étranger personne ne le savait car à l’époque, le régime contrôlait le 100% des médias. C’est pourquoi je crois fermement en l’importance des médias indépendants et c’est pourquoi j’ai décidé de devenir journaliste. Peut-être que si le monde avait su ce que Hafez el-Assad a fait pendant les années 80, on aurait pu l’arrêter« .

Mais les journalistes qui ont osé dénoncer les crimes contre l’humanité de la famille Assad ont été enlevés, emprisonnés ou tués. Pour Sameer, cependant, cela vaut la peine de risquer sa vie pour dire au monde ce qui se passe en Syrie.

« En Syrie, nous avons un proverbe: » Même les murs ont des oreilles ». Le proverbe fait référence au fait que les services de renseignement gouvernementaux surveillent tous les dissidents, en particulier les journalistes, et que quand quelqu’un ose dire ou écrire quelque chose contre le régime, il disparaît. Ce sont peu ceux qui sont revenus après avoir été capturés par les services secrets et ce qu’ils ont raconté est indescriptible. Personnellement, je me considère chanceux, car je n’ai jamais été arrêté ou torturé ».

Armes chimiques : question ouverte

Assad a-t-il utilisé des armes chimiques ou pas une deuxième fois, à Douma, en 2018 ? Certains soutiennent qu’il n’y a pas de preuves solides en faveur de cette thèse, utilisée par les forces occidentales pour justifier une intervention en Syrie. Un Irak-bis, soutiennent les sceptiques. Cependant, Sameer est sûr du contraire.

« En 2018, je n’étais plus en Syrie, mais je suis convaincu qu’Assad a utilisé des armes chimiques contre la population: il l’a déjà fait une fois, en 2013, et je l’ai vu avec mes yeux. Personne ne l’a puni pour les crimes qu’il a commis. Qu’est-ce qui l’aurait empêché de le faire une deuxième fois ?« 


Souvenir

« Avant la guerre, avant que la plupart de ma famille et moi-même ayons été forcés de fuir vers différentes parties du monde, nous nous réunissions le soir tous ensemble à la table : ma mère, mon père, moi et mes dix frères.

Ces moments de partage me manquent, quand il y avait encore de la nourriture et la guerre n’avait pas encore divisé nos vies.

Aujourd’hui, l’idée de se réunir tous ensemble à la table semble impossible, puisque certains de mes frères vivent en Egypte, d’autres au Liban, d’autres en Arabie Saoudite, alors que ma mère et mon père vivent en Turquie.

Voilà, si tu me demandes ce que je pense quand je ferme les yeux, je te réponds comme ça: m’asseoir à nouveau à la table, en Syrie, avec toute ma famille”.

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