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Vendredi 24 mars 2017, les collaborateurs de l’Agence France Presse (AFP) basée à Paris, les représentants des médias français partenaires et les représentants des associations de soutien à la liberté de la presse dans le monde étaient réunis pour rendre hommage à trois photoreporters syriens, correspondants à Alep, aujourd’hui réfugiés en France. La Maison des journalistes était présente pour féliciter en particulier deux des photo-vidéastes honorés, Zakaria Abdelkafi et Karam Al-Masri, respectivement ancien et actuel résident de la MDJ.

De gauche à droite : Michèle LERIDON, directrice de l’information, Emmanuel HOOG, PDG de l’AFP, les photographes syriens Baraa AL HALABI, Zakaria ABDELKAFI, Karam AL MASRI et  la journaliste Rana MOUSSAOUI ©Camille PEYSSARD-MIQUEAU

Retour en images sur ce moment de reconnaissance, de solidarité interprofessionnelle et d’émotion face aux violences subies par ces professionnels de l’information.

Découvrez le discours de Michèle Leridon, directrice de l’information à l’Agence France Presse :

Retrouvez aussi les interventions de Karam Al Masri, Baraa Al Halabi, Zakaria Abdelkafi et de Francis KOHN, directeur de la photo à l’AFP :

A la fin de cette rencontre, un partenariat privilégié entre l’AFP et la Maison des journalistes à été envisagé.

Toute l’équipe de la Maison des journalistes est heureuse et fière d’accompagner ces combattants pour la liberté d’informer chaque jour dans leur parcours de reconstruction et de réinsertion.

Une partie de l’équipe de la Maison des journalistes aux côtés de la directrice Darline COTHIERE et des photographes syriens @AFP

 

 

« À Alep, comme vous attendez le métro, nous attendons la mort», Karam Al-Masri, photo-reporter syrien aux Assises du Journalisme 2017. 

Karam AL-MASRI récompensé du Prix Enquête et Reportage par la journaliste Anne-Claire COUDRAY aux côtés de ses pairs aux Assises du Journalisme 2017 ©Journalisme.com

Jeudi 16 mars 2017, lors de la 10ème édition des Assises du Journalisme 2017, le prix « Enquête et reportage » a été décerné au photographe syrien Karam Al-Masri, actuellement résident de la Maison des journalistes, pour son reportage à Alep sous les bombes pour l’ Agence France Presse (AFP) Couvrir Alep, la peur au ventre et le ventre vide avec la journaliste Rana Moussaoui. 
Cliquez ici pour (re)découvrir leur travail en photos, textes et vidéos. 

Après un raid aérien contre un quartier rebelle d’Alep, le 20 mai 2015 @Karam Al-Masri/AFP

Texte recueilli par Emanuela Mastropietro et publié par l’hebdomadaire italien Grazia (décembre 2016 : cliquez ici pour télécharger la version originale)

Ci-dessous la traduction de l’italien au français par Lisa Viola Rossi

Maha Hassan (cliquez ici pour lire son profil sur L’oeil de l’exilé) est une écrivaine née dans la ville syrienne submergée par l’urgence humanitaire. Et dans ces jours où les Nations Unies tentent de sauver la population, elle se souvient du jour où elle a perdu sa mère et de la fuite qui lui a donné une nouvelle vie.

Ma mère est morte à Alep le 16 décembre il y a un an. Je ne sais pas ce qu’elle faisait quand un missile a transformé la maison où elle m’avait mise au monde en un tas de gravats. Ma mère, Amina, était une femme pleine de joie, chaleureuse. Peut-être qu’elle préparait du thé pour ses voisins, qu’elle n’a jamais cessé de voir, même sous les bombardements. Quand je l’appelais par téléphone de la France – d’abord de Paris, puis de Brest, où je vis en tant que réfugiée politique depuis 12 ans – elle n’a jamais versé une larme: elle endurait l’enfer et pour moi elle s’efforçait de sourire. Je suis une fille d’Alep. Et aujourd’hui, je suis orpheline. Deux fois orpheline.
Mon pays, je l’ai perdu en 2004. Pour échapper aux persécutions contre la communauté kurde dont je fais partie, à 38 ans, j’ai été forcée de quitter la ville qui m’a vue naître et devenir une adulte, le berceau d’une grande civilisation qui a nourri mon inspiration en tant qu’écrivaine. Mais le cordon ombilical qui me lie à cette terre martyre, il n’a jamais été coupé. C’est le destin de nous les Syriens: il n’y a pas un lieu à l’extérieur de notre pays, qui est fait pour nous. Même quand on a l’impression de pouvoir enfin poser nos valises, nous nous rendons compte que la vie que nous vivions en Syrie, elle s’est collée à notre âme et que nous sommes condamnés à la comparer constamment à la nouvelle vie, à laquelle nous ne pouvons pas nous habituer.

La couverture du livre « Le Métro d’Alep » de Maha Hassan

J’ai essayé de donner corps à ces sensations dans mon dernier roman, Le Métro d’Alep, publié à Beyrouth aux éditions Dar al-Tanweer. Le personnage principal, Sara, fuit la guerre qui a dévasté ce qui, un temps, pouvait se vanter du titre de capitale économique de la Syrie, et elle a trouvé refuge à Paris. Elle passe ses journées à errer dans le métro, sans racines, sans liens, dans les limbes de la mélancolie qui lui empêche de vivre et où le passé et le présent se chevauchent sans cesse. Un jour, quand elle se perd dans un dédale de tunnels et des escaliers mécaniques et quelqu’un lui demande ce qu’elle cherche, Sara lui répond : « La ligne menant à Alep ».

Sara est un personnage fictif, mais elle me ressemble. Le missile qui a tué ma mère et a détruit ma maison, il a fait de moi une sorte de fantôme, un être invisible. Ce jour-là j’ai tout perdu, ma vie est une non-vie.

Si je ferme les yeux et je pense à Alep, je ne peux plus voir la ville de mon enfance et de ma jeunesse, des rues animées du centre-ville, le rassurant brouhaha des cafés. Si je ferme les yeux et je pense à Alep, je vois Berlin en 1945: les décombres, la mort, la désolation. Tout est noir et blanc. La guerre a effacé les couleurs.

J’ai appris hier que le quartier dans lequel se déroule un chapitre de mon roman a été bombardé et il n’existe plus. J’ai perdu mon Alep, mais aussi Sara – mon personnage – elle a perdu le sien. C’est comme mourir deux fois. Que deviendra ma ville? Je ne peux pas répondre. D’une part, je suis convaincue que les blessures ne guériront jamais complètement. La guerre a enlevé un morceau de notre âme.
D’autre part, je refuse de perdre l’espoir. Certains membres de ma famille vivent encore là-bas. Mon frère et ses quatre filles ont survécu au bombardement de leur maison et ils ont trouvé refuge dans la ville universitaire. Un jour, peut-être, mes petits-enfants verront Alep ressuscité, reconstruite, en paix.

J’avais prévu de consacrer mon dernier livre à ma mère. Je voulais la surprendre, mais elle est morte avant que j’aie pu le terminer. Amina était illettrée, elle n’a jamais pu lire une ligne de ce que je publiais, mais elle m’a encouragée, m’a soutenue, elle était fière de moi. Si je continue à écrire, je le fais pour elle, et pour donner une voix à toutes les personnes qui ne peuvent exprimer leur douleur; je suis chanceuse, j’ai l’occasion de témoigner et c’est comme si ma souffrance a un sens. Jamais je ne vais arrêter de le faire : je suis une fille d’Alep, tel est mon destin.